« Quand on perd un enfant, on pense perdre son droit au bonheur et à l’amour.. Je l’ai cru pendant plusieurs années, ou du moins, je m’en suis persuadée…
Tout avait explosé en moi, mes repères, mes croyances en l’avenir, mon goût de vivre, mon envie d’avancer, mon envie d’aimer tout simplement. J’avais juste envie de rester là, figée, de ne plus bouger et d’attendre la fin… la fin qui me permettrait de rejoindre mon enfant…
« Mon corps de femme est devenu pour moi un étranger »
Et je crois que je m’étais comme coupée des émotions autres que celles de la souffrance et du malheur, que je pensais ne jamais pouvoir éprouver un autre sentiment que celui d’être une femme morte, morte de l’intérieur sans envie, sans besoin, en état de survie tout simplement.. enfin je le pensais…
Mon histoire commence par le simple constat que mon corps de femme est devenu pour moi un étranger… Lui qui a su accueillir cette graine, la faire grandir et donner naissance à cet enfant aujourd’hui disparu, ce corps semble ne plus m’appartenir. Je lui en veux.. comment ai-je pu, moi génétrice, donner à mon enfant, des mauvaises cellules? Des cellules de mort…
« Mon corps coupable de ne pas avoir fait un bébé en bonne santé… »
Alors, on se victimise, on se flagelle, on se culpabilise… il faut bien trouver un coupable. Et quand on ne le trouve pas, si ce n’est pas l’Autre, c’est donc moi… Moi la seule responsable de la mort de mon enfant, ce corps qui a fabriqué et porté ce bébé, mais ce corps qui n’a pas été capable de faire un bébé en bonne santé…
Alors forcément on se replie sur soi, on ne le regarde plus ce corps coupable, il devient étranger. On le touche mais on ne le ressent plus. Froid comme la glace, il ne nous appartient plus…
Et l’amour dans tout cela ? comment refaire l’amour après un tel traumatisme ? comment accepter que le père de mon enfant disparu, puisse encore poser ses mains sur mon corps mutilé ?
Comment accepter qu’une personne aussi proche que mon mari, ose toucher le corps que je rejette et que paradoxalement je ne veux plus partager, mais garder pour moi car il a aussi accueilli mon enfant chéri, il l’a aussi tenu dans ses bras, il a été aimé par lui?
Là est tout le paradoxe : je déteste mon corps, je ne veux plus en prendre soin, je voudrais le mutiler, alors je le saccage en prenant du poids volontairement (car manger me donne l’impression de remplir son vide viscéral), et en même temps tout en le détestant je veux le protéger, le préserver, que plus personne n’y touche, puisque mon enfant ne pourra plus le serrer… Il n’est plus qu’à moi, ou peut-être à lui…, puisqu’il a lui a donné naissance… Je crois qu’inconsciemment je voulais voir mourir mon corps comme celui de mon enfant, lui léguer mon corps à défaut de ma vie, puisque c’était la seule chose que je pouvais encore lui offrir…
« J’ai fini par croire que je n’étais plus digne d’être aimée »
Alors je me suis réfugiée dans le rejet total de l’amour ; rien que les mains de mon mari sur moi sont un calvaire, ce mari exceptionnel qui tente tout pour ré-apprivoiser le corps de sa femme, pour que l’envie revienne, qui ose doucement approcher ses mains… Mais, en vain. Je reste figée. Je n’y arrive pas. Je culpabilise. Je pleure. Je hurle ma détresse. Rien n’y fait, le blocage est là, et les verrous ne sautent pas aussi vite…
J’ai fini par croire que je n’étais plus digne d’être aimée, plus apte à aimer un homme, ni à me laisser aimer.
« Notre enfant qui nous unissait à jamais est parti emportant avec lui les derniers rêves du couple »
J’ai surtout compris avec le temps que faire l’amour avec le papa de mon enfant ne serait plus jamais la même chose. Il est devenu Autre… Je ne parle pas de désamour ou de la fin de l’amour, je veux parler d’un amour resté figé, et qui a du mal à rebondir, à repartir… parce que ce qui nous unissait à jamais, notre enfant, est parti. Parce qu’il s’est envolé emportant peut-être avec lui les derniers rêves du couple…
Dans l’un de ses livres sur le deuil, Christophe Faure explique qu’un couple qui vit un deuil aussi important que celui de la perte d’un enfant, vit côte à côte en quelque sorte. Il explique que le deuil ne peut pas toujours se faire ensemble et que chacun peut rester dans sa bulle, sa souffrance, l’un à côté de l’autre certes, mais malheureusement pas toujours ensemble. Il en est ainsi en tout cas, dans mon couple. On évolue différemment, on pleure à des périodes différentes, bien souvent décalées (et peut être tant mieux) mais on peut difficilement parler ENSEMBLE de notre tristesse.
Le désarroi et la souffrance que je lis dans les yeux de mon mari quand il rentre le soir à la maison, après des journées denses de travail, me rappellent combien moi aussi je vis la même chose. Et je ne peux le partager avec lui, car tomber ensemble c’est prendre le risque de ne pas pouvoir se relever et je ne me sens pas assez forte pour prendre ce risque-là.
Et faire l’amour avec une personne qui vous rappelle combien vous souffrez mutuellement est pour moi, en l’état actuel des choses, juste excessivement douloureux.
Alors la vie continue. On essaie de se rattacher aux quelques plaisirs de la vie, des rencontres, des partages, des personnes qui vont venir jalonner notre vie et qui vont nous faire comprendre que OUI il faut continuer sur ce chemin. Le corps ne suit peut-être pas, mais la tête, elle, est bien posée sur les épaule et elle nous dicte qu’il faut avancer. Le cerveau est donneur d’ordres… on est bancal avec ce corps qu’on ne veut plus aimer, mais on est debout.
« C’est ainsi que la vie m’a apporté un rayon de soleil »
C’est ainsi qu’à travers mes discussions et mes rencontres, la vie m’a apporté un rayon de soleil…
Moi, le femme en deuil, j’ai réappris à aimer. J’ai appris à ressentir de nouveau l’envie… Mais le destin veut que cette personne qui m’a redonné l’envie d’aimer n’est pas mon mari…
J’ai bien conscience que je risque de choquer, d’interloquer ou de surprendre. Mais j’ose le dire dans un témoignage honnête et sincère… sans hypocrisie…
OUI moi, une maman endeuillée, je découvre en ce moment l’amour dans les bras d’un homme qui connait mon histoire mais qui n’a pas été acteur de ce mauvais scenario. Il est étranger à ma vie d’avant. Il a dans un premier temps posé sur moi son regard compatissant et fraternel, il m’a juste écoutée en toute objectivité, il m’a rassurée, il a aussi pleuré avec moi, mais il m’a aussi réappris à sourire…
Il m’a fait comprendre que oui, j’étais vivante et bien vivante. Des centaines de kilomètres nous séparent mais il est toujours là quand j’ai besoin de parler de tout et de rien, de mon enfant, de ses enfants, de la vie, de nos couples respectifs…
« Et puis, on s’est donné rendez-vous, on s’est vu… »
On s’était connu à l’école, je l’avais aimé d’un amour d’adolescente fleur bleue, et on se retrouve… quelques décennies plus tard et la magie a opéré… une magie de conte de fées où je m’autorise d’un seul coup à oublier la maman meurtrie que je suis, à ne plus penser à rien si ce n’est à l’image que cet homme soudainement me renvoie de moi, dans sa douceur, dans son regard, dans la beauté de ses gestes élégants et doux.
Il m’apprend et me fait sentir d’un seul coup que je suis vivante, quand il me touche pour la première fois, j’ai l’impression qu’un papillon vient de m’effleurer.. c’est doux, c’est bienveillant, c’est le début d’un sentiment dont je ne connaissais même plus le nom… Je sais simplement qu’il me veut du bien car il me le dit. Il me fait comprendre que je mérite d’être heureuse ne serait-ce qu’une heure… il ne me promet pas la lune, il ne va pas me faire oublier ma souffrance et encore moins mon enfant… Je ne le voudrais pour rien au monde! Non, il veut m’aider à aller de l’avant, à me reconnecter à moi, à mon moi intérieur, et bien entendu à mon corps qui n’a plus rien ressenti depuis plusieurs années…
Cet homme est devenu aujourd’hui mon rayon de soleil, et cet amour nouveau nous surprend aussi bien lui que moi…
Dois-je culpabiliser parce que ce n’est pas mon mari qui m’apporte ce réconfort ? Je ne veux pas mentir, je n’y arrive pas… J’ai décidé de vivre et de profiter du moment présent. J’ai eu envie que mon corps se réveille sous ses caresses, ce corps que je croyais mort est en train de renaître. Il me dit que je VIS et peut-etre aussi que je mérite d’être aimée par un homme qui ne veut que mon bien et qui ne me rappelle pas ma vie d’avant.
« Je remercie mon enfant de m’autoriser à vivre aujourd’hui ces sentiments »
Ai-je la sensation de trahir mon mari ? Non… Il est et restera l’homme que j’aime d’un amour éternel…. il est le père de mon enfant, il me relie à lui à jamais, et ce lien est inaliénable.
Ai-je la sensation de trahir mon enfant ? Non…
Au risque de choquer et même d’être jugée, j’ose enfreindre un tabou. A la question, a-t-on le droit d’aimer passionnément une personne qui vous apporte un peu de douceur dans le tsunami que l’on traverse depuis le départ de notre enfant ? je réponds OUI.
Vais-je tout quitter pour vivre avec cet homme ? Je n’en sais rien… Je me dis simplement que je mérite ce que je vis, et je remercie le Ciel, et mon enfant là-haut de m’autoriser à vivre aujourd’hui ces sentiments dans le présent, sans me préoccuper du passé ni de l’avenir.
Mon enfant restera mon guide et je sais qu’il ne souhaite que mon bonheur… alors j’OSE ce bonheur aujourd’hui, et oser c’est VIVRE! »