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Quand le diagnostic médical tombe et que l’impensable devient réalité, il y a les mots pour le dire et l’accompagner. Sans rien changer à cette réalité, les mots ont le pouvoir de l’adoucir d’humanité, d’empathie, de bienveillance. Ils donnent de l’espoir quand il n’y en a plus : celui de la compréhension, des liens humains, de l’empathie qui aide à se sentir moins seul au monde quand le sol se dérobe sous ses pieds.  Pourtant le vécu de nombreux parents est souvent tout autre. En lieu et place de mots bienveillants, ils se voient opposer des mots froids, définitifs, sans émotion, ponctués d’une implacable fin de non-recevoir, qui rappelle le point final inéluctable de la vie de leur enfant. C’est la cruelle expérience de Louis et sa maman, que Véronique partage ici :

« Il y a un an aujourd’hui, jour pour jour, heure pour heure, nous nous prenions une douche froide…. « Papa » et « Tonton » sont venus nous chercher, comme d’habitude.  Sauf que cette journée, ce transport n’étaient pas ordinaires. Toi, mon étoile, tu stressais. Comme tu l’avais dit à Olivier, « Tonton, ça passe ou ça casse ». Moi, je savais…. Ces résultats, je les connaissais. Pas besoin d’une machine pour savoir…

Ton médecin nous a dit droit dans les yeux :  « Les résultats sont mauvais, très mauvais. » Pour la première fois, j’ai vu les larmes monter dans tes yeux, ta petite bouche tremblait…. Il a continué à parler, sans prêter attention à toi. Et quand il t’a demandé, « Louis tu as des questions ? », tu lui as demandé si un jour tu pourrais rejouer au foot. Il t’a répondu, toujours droit dans les yeux :  « Ca, ça dépendra de ta tumeur! ». Ensuite, tu lui as demandé « Est ce qu’un jour mon bras gauche refonctionnera ? ». Et lui, mon Dieu…. : « Ca dépendra de ta tumeur Louis, et tes résultats sont mauvais, très mauvais… ». Tu as réussi à contenir tes larmes, je ne sais pas comment tu as fait.

Le médecin nous a annoncés que nous entamions la « ligne 2 du traitement », comme ils disent, avec pose des packs et chimio palliative…. Ensuite, il t’a demandé de sortir, sans même se demander comment tu allais vivre ce moment seul. Tu nous a attendus dans la salle (ou plutôt le couloir) d’attente.  J’ai fait tout mon possible pour écourter ce qu’il avait à nous dire. Mais c’était long, beaucoup trop long. Chaque minute passée seul dans ce couloir était une minute de trop. Quand je t’ai enfin retrouvé, pour la première fois, tu pleurais. Tu as téléphoné à « Mesletaoui », tu étais en larmes, tu as compris…. Olivier et Yves sont arrivés le plus vite possible suite au message que je leur ai envoyé discrètement. Tu pleurais toujours et tu as dit à leur arrivée: « Olivier, je suis foutu…« . 

Je ne pardonnerai jamais à ce médecin, il le sait maintenant, je lui ai dit droit dans les yeux six mois après ton envol. Cette journée, je m’en souviens comme si c’était hier. La descente aux enfers avait commencé…. ».

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Louis et Véronique

 

Que se passe dans la tête du médecin quand il doit annoncer l’impensable? Le médecin se retranche derrière la vérité qu’il est désormais vain d’éluder, et qu’il est important de faire comprendre à l’enfant. Mais à quel prix? Qui est le plus légitime à ce stade du diagnostic à dire à l’enfant ce que lui réserve sa maladie? Le médecin ou ses parents? Comment être sûr que lui dire la vérité sur l’évolution de sa maladie est un « bien » et peut l’aider de manière aussi certaine à appréhender les quelques semaines ou mois qui lui restent à vivre? Cette décision avec les lourdes conséquences qu’elle entraîne, ne mérite-t-elle pas d’échanger au préalable avec les parents de l’enfant qui eux savent ce que leur enfant est à même d’entendre? Que motive (ou cache) en réalité une communication aussi directe et exempte de toute émotion apparente? Une fragilité émotionnelle que le médecin essaie de cacher ou contenir derrière une carapace? Une exigence de réalisme érigée en devoir qui exclut toute forme de douceur et de croyance? Une urgence plus ou moins inconsciente à dire la réalité, pour la mettre à distance et passer à autre chose, ou à un autre enfant, en espérant que celui-là aura plus de chance ou que les traitements seront plus efficace? Toutes ces hypothèses paraissent bien insuffisantes à rendre acceptable autant de froideur, vécue par les parents comme autant d’indifférence au sort de leur enfant.

Lydie aussi se rappelle comment la nouvelle de la récidive de la tumeur de Théo lui a été annoncée, avant de les laisser son mari, son fils et elle, rentrer chez eux, sans plus d’accompagnement.

IMG_2683« J’étais seule dans la chambre quand ils nous ont annoncé la rechute de Théo. Mon fils et Hervé mon mari étaient dans la salle de jeux. C’est moi qui l’ai du coup annoncé à Hervé alors que j’étais moi-même dans un état lamentable car je savais que rechute signifiait qu’on allait le perdre à plus ou moins courte échéance. On n’a pas vu de psy, ni pendant l’annonce, ni parès. Le médecin m’a annoncé ça, et est resté deux minutes à m’expliquer que c’était métastasé de partout dans le cerveau et le long de la colonne vertébrale. Quand je lui ai demandé ce qui pouvait être à l’origine de la maladie de Théo, il m’a dit que c’était la fatalité. Puis, il m’a dit en gros les traitements de chimio possibles pour retarder l’évolution, et il est parti ».

Nathalie se rappelle de façon tout aussi traumatisante, cette insistance du médecin à dire à sa fille de 9 ans la réalité de sa maladie :

11902382_821851074602706_5998229217130195095_n« Carla-Marie, tu es grande! Tu dois comprendre que ta maladie est grave et nécessite des traitements lourds ».

Et tandis que sa fille se terrait contre elle en se bouchant les oreilles pour ne plus entendre le médecin lui rappeler ce qu’elle savait hélas trop bien pour le vivre tous les jours dans son petit corps qui se paralysait, Nathalie implorait le médecin : « Arrêtez, ça ne sert à rien. Vous ne voyez pas qu’elle ne vous écoute pas, laissez-la tranquille ».

Quelques jours plus tôt, c’est en téléphonant au service pour savoir si les résultats de la biopsie de sa fille étaient enfin arrivés, que Nathalie s’était vue répondre : « Oui ils sont bien arrivés. Et, c’est méchant. Même très méchant », lui avait déclaré le neurochirurgien. Déroutée par sa réponse, Nathalie avait alors demandé : « Cela veut dire que la tumeur est maligne et de grade 4? ». Et le neurochirurgien de répondre à cette maman en attente d’un diagnostic de sa fille depuis plus de deux mois : « Oui Madame c’est un grade 4, et il faut faire très vite maintenant ».

 

Le décalage terrible à vivre entre ce qui se joue pour l’enfant et ses parents et le médecin ajoute tellement de souffrance évitable. Il est une source de traumatisme important. Les souvenirs les plus traumatisants, des mois et des années après, sont souvent associés à ces annonces froides, dépourvues d’empathie et d’accompagnement, qui leur ont donné l’impression d’être seuls au monde, comme abandonnés dans l’indifférence à leur propre malheur.

Bien sûr tous les médecins ne sont pas aussi apathiques, que celui de Louis. Mais, aucun enfant faisant face à une maladie incurable et à un diagnostic aussi désespéré ne doit avoir à compter sur la chance de tomber sur un médecin plus empathique et humain.

Le premier traitement d’urgence à prescrire aux parents et à l’enfant à qui on annonce un diagnostic fatal, c’est bien la communication bienveillante, La psychologie et la bienveillance quand on vit la dernière ligne droite de la vie de son enfant, ne sont pas des options mais des obligations. Quitte à déléguer cette tâche bien difficile à des professionnels eux-mêmes formés et aidés.

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Chorégraphie de Marlène Mestrallet mettant en scène l’annonce de l’impensable dansée par Margaux Lopez, et (sur la photo) Khiani Lopez et Lisa Hernandez (Calas Danse)

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