Laurence vient de sortir de son rendez-vous avec le médecin du service médical de la CPAM qui lui a tenu ces propos : « Six mois d’arrêt après la mort d’un enfant, c’est normal. Un an ça commence à faire beaucoup. Mais alors là, 15 mois ça devient carrément pathologique ! Il faut vraiment que vous repreniez le travail, et je dis ça pour vous, parce qu’il faut absolument qu’on vous sorte de là dedans ! ».
Désemparée, Laurence nous partage: « Je suis tellement restée abasourdie que je n’ai rien pu répondre, je lui ai dit : « Oui oui, merci, au revoir »… Et depuis je suis mal et regrette de n’avoir pas pu répondre 😰 ».
Comment manquer autant de psychologie face à une maman en deuil ? Comment être aussi péremptoire pour juger du délais acceptable ou non quand on ne sait rien d’autre de la situation de cette maman ? Ni combien de temps et dans quelle condition elle a accompagné la maladie de son enfant, ni le contexte de son activité professionnelle, ni celui de sa situation familiale ?
La reprise du travail est un moment souvent délicat après la mort d’un proche. Mais après la mort d’un enfant, elle peut devenir impossible durant de longs mois.
Pour certains la reprise d’activité peut apporter un soutien considérable. Le travail offre un cadre structurant, il donne une raison de se lever le matin ou encore de s’habiller dans un moment où la vie perd tout son sens. Le travail peut aussi permettre de ne pas se désocialiser complètement, d’éviter les risques d’isolement et de garder un lien avec la réalité. La façon dont l’employeur et les collaborateurs ont été présents au moment du décès ou de la maladie de l’enfant conditionne aussi beaucoup comment le retour au travail est vécu par le parent en deuil.
A l’inverse, pour nombre de parents, le travail se vit comme une activité devenue incompatible avec l’état émotionnel et physique qu’engendre la perte de leur enfant. Car en plus d’influer sur le corps et l’esprit, le deuil ébranle. L’enfant n’est plus là, il va falloir reprendre la vie là où elle s’est brutalement arrêtée, retourner au travail, affronter l’émotion des uns et la maladresse des autres. Rompre avec des rituels quotidiens réconfortants, s’éloigner de ses autres enfants, se lever malgré des insomnies chroniques…. autant de peurs et de difficultés qu’il va falloir accompagner.
La période de deuil est aussi un temps de réflexion et d’introspection profond, obligeant à s’interroger sur ses priorités et le sens de ses actions. Il arrive ainsi que des problématiques personnelles ou professionnelles longtemps mises de côté deviennent impossible à ignorer désormais obligeant pour s’en sortir, à initier une reconstruction ou une reconversion professionnelle en profondeur. Et bien accompagnée ce changement peut être un facteur important de résilience.
Le rapport au travail varie donc d’un parent en deuil à une autre : tantôt une béquille tantôt une source de blocages, les vécus sont multiples. Dans ces circonstances il est donc important d’être à son écoute et d’imaginer tous les aménagements nécessaires à un retour au travail qui soit une aide et non une souffrance supplémentaire pour lui.
Ce qui ne varie pas en revanche, d’un parent à l’autre, c’est le même besoin de compassion et de compréhension minimale, et d’une reconnaissance du caractère exceptionnellement difficile et hors-norme de son épreuve. Cette reconnaissance est un préalable et un encouragement. Bien loin de toute idée arrêtée sur ce qui est normal ou non de faire dans sa situation, et de tout ce qui laisse penser qu’il ne fait pas d’effort, qu’il se laisse aller ou pire qu’il profite de la situation.
Voici quelques commentaires suscités par le témoignage de Laurence :
🌸 “Fais comme tu le sens.., fais ce qui te sembles bien pour toi… le deuil se vit seul avec soi même… soi au carré comme le dit si bien Cynthia Fleury... Il faut juste faire attention à ne pas rendre ta vie plus compliquée… et penser à l’avenir .. car il y a un avenir, une reconstruction, un nouveau chemin…”
🌸 “Il n’y a pas de délai, chacun a le droit de vivre sa peine le temps dont il a besoin…”
🌸 “Comment faire ? …Et en tant qu’employeur on est aussi désemparé ! …Comment aider ? On est maladroit même dans la compassion…”
🌸 “Comment peut-on quantifier la douleur ? Comment peut-on décider pour d’autres que le deuil a suffisamment duré ? Il est très difficile de mettre des mots sur ce que l’on ressent alors quand on vous juge…”
🌸 “Les médecins ne sont pas formés au deuil, pour eux c’est pathologique au delà de 12 mois et ils l’assimilent à de la dépression”
🌸 “Chacun réagit différemment face à la perte d’un enfant … personnellement ma psychologue m’a demandé de reprendre 3 mois et demi après le départ de mon fils, je n’étais pas prête mais je l’ai fait et je me suis surinvestie dans mon travail, à en prendre plus qu’il n’en fallait… pour ne pas penser 💭 cela a été très dur, mais voilà j’y suis arrivée malgré tout…”
🌸 “C’est vraiment triste de lire ce témoignage, mais comment peut on juger le temps nécessaire pour faire le deuil d’un enfant ?”
🌸 “Les secousses engendrées par la perte de son enfant sont très difficiles à expliquer mais aussi à comprendre. Comment expliquer que le corps se fige et que le cerveau refuse de donner l’ordre d’enfiler un pantalon le matin, de manger ou encore d’ouvrir ses volets pour jouir des premières heures de la journée. Il n’y a pas de maladie mais un choc assez violent pour tétaniser et obliger l’individu à se mettre en veille malgré lui ! Personne ne cherche l’abus, la tricherie ou la passivité. Il faut continuer pour cela de témoigner pour raconter et sensibiliser le plus de gens possible en soutenant des actions de formations à la compassion dans les écoles ! Les gens réagissent ainsi car ils ne savent pas … Aidons les a mieux comprendre”
🌸 “Chacun fait comme il peut, et vivre de la manière dont nous vivons après le décès d’un enfant relève déjà de l’exploit”
🌸 “Ce n’est pas qu’un deuil, c’est une reconstruction de tous les jours, nous “saignerons” tous les jours”
🌸 “Personnellement… Je me suis forcée à reprendre assez rapidement. Si je ne l’avais pas fait, je ne suis pas sûre que j’y serai retournée un jour. J’avais besoin du contact de mes collègues et de mes clients. Cela m’a fait un tel bien, cependant, nous ne sommes pas tous égaux. A chacun son rythme. Il faut laisser le temps au temps”
🌸 “Il faut prendre son temps !
Et peut importe le temps qu’il te faudra !
Prend le temps pour faire les choses…
Pour ton cœur, ton esprit, et pour l’enfant aussi…”
🌸 “Les médecins ne peuvent pas en juger, c’est a toi de sentir le jour où tu sera prête…”
🌸 “Pour ma part ma chère Laurence, ce qui m’a aidé, c’est travailler pour ne plus penser, pour vivre et exister.
Travailler pour oublier ce mal être.
Travailler pour ne plus être chez moi à supporter les autres.
Toutes ces personnes pleine de compassion qui au final nous tirent plus vers le bas qu’elles ne nous aident.
Travailler, car à ce moment là, c’est de ça dont j’avais vraiment besoin.
Mais chacun est différent et personne n’agit pareil.
Le deuil est personnel”
Moi j’ai tenu 3 ans et demi debout après le départ de mon petit fils chéri âgé de 7 ans à l’époque puis je me suis écroulé comme jamais. Arrêt maladie de 4 mois. Mon petit fils a été le deuil de trop après mon père et mon mari. Aujourd’hui j’ai repris le travail en mi temps thérapeutique mais cela reste très difficile pour moi d’avancer malgré un traitement médical et suivi psychologique.