Voici les mots d’Éric Dudoit* lors d’une rencontre qui avait pour sujet les différences entre hommes et femmes et les difficultés du couple face à l’impensable. Une rencontre si riche, qu’elle est toujours difficile à résumer. Chacun la vit à sa façon et les mots cheminent dans le coeur des hommes et des femmes, nous invitant à aimer plus grand pour mieux se séparer et se retrouver.
Merci Eric, 💞
*Eric Dudoit est docteur en psychologie clinique et psychopathologie, responsable de l’unité de psycho-oncologie du CHU La Timone à Marseille depuis 2002, et qui a créé en 2005 l’Unité de soins et de recherche sur l’esprit au sein du centre hospitalier. Auteur de plusieurs publications sur la spiritualité dans les soins (Au coeur du cancer, le spirituel, Ces EMI qui nous soignent) et en 2017, de La Porte à franchir (éditions Le Passe-Monde) –> Jude Nazar, Éric Dudoit, Psychologue.
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« Lorsqu’on est en souffrance, on se replie sur soi pour tenir. Alors l’éternel féminin et l’éternel masculin vont être en butée. Les deux vont dire « j’aime mon enfant », sans entendre la même chose. Quand il a mal le masculin va avoir tendance à se fermer et le féminin à parler. Quand l’éternel féminin parle, elle ne dit pas la vérité, elle construit sa pensée. Elle a besoin de parler et de creuser. L’éternel masculin lui emprunte des chemins de silence, il va trouver une violence d’évitement, d’agacement. L’un parle de l’enfant, l’autre ne le peux pas, et les deux par amour. Le masculin a besoin que ça parle à travers lui en se taisant. Parfois il est ailleurs et ce n’est pas parce qu’il est ailleurs et en dehors du désir du féminin qu’il ne l’aime pas. Il a besoin de cette liberté. Est ce que je peux autoriser l’autre à être ailleurs que dans mes pensées et mes désirs?
La construction de l’éternel masculin et de l’éternel féminin en nous prend des années. Et tout est remis sur le métier à tisser à la mort de l’enfant. Dans l’autre je vois mon enfant et je ne le peux pas ; c’est d’une violence extrême. Je ne peux plus mais par amour. L’un et l’autre pour se rencontrer à nouveau doivent se séparer et travailler sur eux.
La question du désir se pose aussi. Aimer c’est désirer. Est ce que j’aime encore cet homme ou cette femme? Est ce qu’on peut encore désirer? Est ce que cela a encore un sens le plaisir? La perte d’un enfant est si incommensurable qu’on perd le désir. Et quand il vient on a honte. Faire l’amour est difficile. C’est bien alors de le parler, mais sans convocation immédiate à la parole.
Il ne faut pas dire à un homme de faire comme une femme ni à une femme de faire comme un homme. Parfois faire ensemble c’est se séparer, et ce n’est pas parce qu’on se sépare que c’est un échec. C’est encore notre appareil à penser les pensées qui dit qu’il ne faut pas que ça bouge. Mais c’est trop tard, ça bouge déjà, ça bouge tout le temps.
Quand l’éternel masculin a perdu son enfant, il a besoin du silence comme la musique de l’univers. La femme par moment n’écoute que sa musique, elle a besoin de se souvenir. Le masculin a une faculté d’oubli phénoménale. S’il y a un décalage, ouvrez-vous à la disponibilité de l’autre. Or quand on souffre, on est recentré sur soi et sa douleur. L’autre énerve parce qu’il n’est pas à la bonne place. Mais on n’est jamais à la bonne place. Pour que l’autre le soit, il faut bouger soi-même.
Dans le couple, l’autre est individuellement et singulièrement AUTRE. Il faut l’accepter et être juste avec ça. Or, on est a la recherche d’une complétude parce qu’on pense qu’on ne peut y arriver seul. Et c’est là que le couple échoue. Parce que l’autre est chargé d’un désir qui ne lui appartient pas.
Quand ils perdent un enfant, hommes et femmes ont du mal. Peut-être qu’on ne comprend plus l’autre. On l’aime et le déteste. Et la solution, il y en a qu’une : aimer encore plus grand et aimer plus grand c’est bien autre chose que sexuel. Si votre moitié s’éloigne, ce n’est ni mal, ni bien. Faites-le juste doucement, le plus aimant que vous pouvez.
L’experience que vous avez vécue est une initiation. Elle oblige à casser son propre code social et c’est terrorisant. La vrai initiation c’est la nuit de l’âme. Vous allez travailler sur vous tel que votre être intérieur le désire. Autorisez-vous enfin à être vous et vous vous apercevrez que celui que vous avez perdu n’est pas si loin. « Enfin papa, maman, tu comprends… Cesse de pleurer ou viens pleurer en moi. » Votre enfant vous aime de l’autre côté.. Il est juste plus lui-même que vous ne l’êtes. Et il vous aide. C’est un contrat. Il n’y a pas de vérité plus profonde que ce que vous vivez. C’est une connaissance expériencielle dont vous êtes riches. Qui a écrit le scénario? Vous. En accord avec lui. Et pour le comprendre il faut aller au fond de soi. Ne pas être dans la croyance mais dans l’expérience. La raison n’est qu’un dixième de ce que l’on est. »
Et Eric Dudoit de terminer par ces mots : « Celui qui parle est le moins légitime. Chaque fois que je viens vous voir j’apprends. J’apprends à aimer plus grand. »