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Nous partageons ici les mots si éclairants et résonnants d’Éric Dudoit sur le sujet de la reprise de l’activité professionnelle après l’impensable

La reprise de l’activité professionnelle est-elle une aide ou une angoisse ?

Pour la société et l’entourage, elle est signe d’un mieux ou d’un retour à la normalité. Mais qu’en est il vraiment pour les parents ? Entre fuite, diversion et remise en question, la mort d’un enfant n’épargne pas aux parents un questionnement profond sur le sens de leur travail.

Éric Dudoit est docteur en psychologie clinique et psychopathologie, responsable de l’unité de psycho-oncologie du CHU La Timone à Marseille depuis 2002, il a créé en 2005 l’Unite de soins et de recherche sur l’esprit au sein du centre hospitalier. Auteur de plusieurs publications sur la spiritualité dans les soins (Au coeur du cancer, le spirituel, Ces EMI qui nous soignent) et en 2017, de La Porte à franchir (éditions Le Passe-Monde).

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Il a d’abord était question de dissonance cognitive. La dissonance est insupportable pour notre mental. Quand nos pensées ne vont pas ensemble, on cherche des raisons, des moyens de contourner la réalité. Et perdre un enfant, c’est la plus grande des dissonances. On est complètement en dehors de tous les cadres.
Les gens bien-pensants ne veulent pas que l’on sorte du rang, c’est perturbant pour eux. Le travail dans notre société c’est le cadre, le rang. Quand on va bien, on travaille. Si on ne travaille pas parce qu’on est malade, c’est qu’on ne va vraiment pas bien. Si on ne travaille pas parce qu’on est en deuil, c’est que notre deuil est pathologique. Mais si la reprise du travail était le signe au contraire que l’on ne va pas bien ? La maladie, la perte nous mettent « au travail ». Mais il ne s’agit pas du même travail. Ce n’est pas le travail social. Quand on reprend le travail,
c’est une façon de dire « je vis » mais ce faisant on oublie le vrai travail. La notion de travail telle qu’elle est énoncée en Occident est un poison à forte dose. « Je suis inutile, je ne travaille pas ». On devrait travailler parce qu’on aime travailler pas parce qu’on doit. On se dit « Il faut bien travailler… ». Mais en nous on sent bien que ça sonne faux. C’est la grande dissonance cognitive de notre société.

Quand un enfant vient de mourir on est confronté à cette dissonance cognitive. La moitié des gens nous encourage à reprendre le travail. L’autre moitié à nous arrêter. On ne sera plus jamais tout à fait apte… et la société nous donne 10 jours d’arrêt…

Dans les sociétés dite primitives, il y a un temps long qui s’appelle le respect de la vie. On est dans un autre temporalité que l’ordre social. Quand l’un des membres perd un enfant, c’est l’ensemble de la collectivité qui a aussi perdu l’enfant et qui donne le temps aux parents. Utopique ? Pas tant que cela. Il existe des mouvements apolitiques qui commencent à comprendre cela. Peut être que le modèle social de travail moderne n’est pas le meilleur.

Quand on est un parent en deuil on vient en butée contre l’ordre social. On vient ajouter une difficulté à une difficulté. La société est particulière quand on commence à sortir de la norme. On devient dangereux. Il y a ceux qui encouragent « je pense à toi, je te soutiens, courage ». Et ceux qui n’y arrivent tellement pas qu’ils nous évitent. Comme dans les repas de famille. La norme veut que le sujet premier de discussion soit le travail. Le deuxième la politique. Le troisième l’état de la planète… l’enfant défunt est hors norme.Il est forcément dissonant.

En vérité, on est tous en dissonance. Et quand on est dissonant le surmoi ne le supporte pas. Alors on revient à la morale, le bien, le mal. La morale est toujours sociétaire. Perdre un enfant c’est injuste. On tisse des idées pour rendre les choses morales.

Aucune personne au monde ne pourra saisir l’expérience que vous avez vécue. On tombera toujours à côté. On oublie que le silence c’est la première chose qui soigne. Les autres veulent nous divertir.

Le Point rose aide à mettre des liens sur le chemin, à rendre les choses moins dures. Bien sûr que vos enfants ne sont plus là. Vous le savez bien. Mais vous savez aussi que tout à l’intérieur ils sont là… mais pour ressentir cela il ne faut pas travailler.

Le rêve, la vie parfaite. Avoir deux enfants. Pour l’avoir il faut travailler nous dit notre société.

Mais le vrai travail ce n’est pas ça. Vous vivez une initiation au sens le plus noble du terme. Il faut travailler pour voir clair en soi mais pas trop pour pas se perdre. Penser ne fait pas du bien. C’est comme panser une plaie, il faut nettoyer, trancher… et c’est douloureux.

Comment je peux faire pour ne pas oublier ? Pour avoir une dose suffisante pour ne pas oublier et continuer ma vie ? On a peur d’oublier. Les photos font du mal, on nous conseille de les éviter. Mais j’ai besoin d’être en contact.
Notre société ne le tolère que dans le cadre d’un « devoir de mémoire ». Mais qu’est ce qu’un devoir de mémoire ? Quand on perd un enfant est ce qu’on n’entre pas aussi dans un devoir de mémoire ? Or il faut que ce soit un partage d’espoir pas un devoir de mémoire. Partageons l’espoir. Que toi mon ennemi tu deviennes un jour un adversaires et même peut être un jour un ami. Les photos de nos enfants doivent être un partage d’espoir. Parce qu’à l’intérieur on n’a pas besoin de ça pour y penser et être déchiré. Inventer un lieu sanctuaire, un refuge, hors de l’espace et du temps. Pas comme quelqu’un de malade mais comme quelqu’un de vivant…

On vous accuse de surinterpréter les signes ? Non ce sont des synchronicités. Le signe que les deux personnes viennent de se retrouver. Avec juste le sentiment d’être bien à cet instant quand tout le reste du temps c’est l’horreur. Cela montre que les univers sont poreux. Il n’est plus là mais jamais très loin…

Tissons des liens entre morts et vivants. La science dit des conneries et elle en dira de plus en plus en étant de moins en moins humaine. Il faut arrêter de dire ce qu’est la mort. En Occident on a décidé que c’était un trou noir mais on n’en sait rien. Soyons au minimum sceptique. Allons vérifier parce que tout ce qui ne passe pas par l’expérience ne sert à rien. L’expérience ouvre en nous tous les champs de possible. Un enfant mort ce n’est pas un enfant qui n’est plus.

La religion permet d’entrer dans un autre état de conscience que l’ordinaire. Mais on baigne dans le spirituel. Il y a tant d’activités qui nous mettent en état de conscience éveillée. La mort de nos enfants nous ouvrent sur des fenêtres d’amour et de possible. Prendre le temps de travailler sur soi, faire un travail d’introspection, reconquérir la liberté à l’intérieur de soi, sans le surmoi, mais avec le « sur-toi » : la soumission librement consentie dans notre société. Je suis un être autonome si et seulement si j’ai intégré la règle en moi. Je n’ai pas besoin d’une règle extérieure hétéronome. Comprendre que nos idées sont sociétales, si on les combats on les renforce.

Alors travailler ou pas ce n’est pas l’important. L’important c’est ce qu’on en fait. C’est le travail intérieur que le travail social permet ou ne permet pas qui compte. Et c’est peut être le seul véritable travail…

Merci Éric Dudoit, Psychologue. de nous aider à travailler… sur nous.

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