Rencontre avec Eric Dudoit* lors du Festival Un Air de Fête, le festival des petits bonheurs organisé par les Melting Colors À Villelaure, Éric Dudoit, est venu à notre rencontre sous le cèdre majestueux et centenaire de la place du château… Nous partageons ses propos :
« Peut-il y avoir encore un petit bonheur après un aussi grand malheur que la mort d’un enfant ? On s’en méfie car chaque petit bonheur rappelle que notre enfant n’est plus là. On se demande : « Comment puis-je encore avoir des petits bonheurs alors que je vis un si grand malheur? ». On pense que si Dieu existait, il ne permettrait pas un si grand malheur, une si grande injustice. Mais quand on vit un bonheur on l’oublie…
Cette fleur si tu ne la regardes pas, pourquoi est-elle venue au monde ? Quand on la regarde on se met au travail. Ce cèdre si majestueux, planté en 1835, existe et je ne le rencontre pas. Est ce que cet endroit si beau existait avant que je le rencontre? Peut être que oui objectivement, mais subjectivement non. Une chose existe si et seulement si quelque chose de ma sensibilité le capte.
Peut être a t-on oublié une chose importante: les petits riens. Les petits riens qui font du bien. Ils nous touchent avec bienveillance en demandant l’autorisation. Quand les choses vont de soi, elles ne nous touchent plus. Il n’y a aucune vie qui ne soit confrontée à la mort, la souffrance, la joie… on pense qu’on devrait toujours être heureux. Et quand on ne l’est pas, alors ce qui aide à vivre, ce sont les petits riens. L’éprouvé, l’ici et maintenant (ipséité). Pour rencontrer les petits bonheurs, il faut être dans l’ici et le maintenant, il faut ressentir.
À l’intérieur de nous, il y a une représentation du monde avant que le monde soit. En fait, on n’a pas accès au monde, on n’a accès qu’à sa représentation. Mais le bonheur est en deçà ou au delà de nos représentations. Pour le connaître il faut arrêter nos représentations, il faut se dire qu’on ne connaît rien.
Et si le cèdre n’existait dans son essence que parce que j’existais dans mon essence ? Cette vie, ce cèdre est proche de moi si et seulement si je m’éloigne de moi. Pour rencontrer quelqu’un il faut être au plus près de là où il est.
Les autres êtres vivants sont capables de communiquer avec nous. On croit que la vie passe par la vue. Mais il y a des millions de formes de vie qui ne passent pas par la vue. Etre intelligent c’est être en relation les uns avec les autres. Est ce que je peux être en relation avec un arbre ? Oui mais comment ?
Quand on perd un enfant, on est plongé radicalement dans des questions qui n’ont pas de réponse. C’est quoi vivre ? Est ce que quand tu meurs, je peux continuer à te voir ? Mais sans me raconter d’histoire ? Je ne veux pas me raconter d’histoire mais c’est impossible. On se raconte tous des histoires. On vit gauchement. On ne fait pas attention. Si on fait attention, on tombe alors sur le petit prince… Avant cela, on est tous des allumeurs de réverbères, des compteurs d’étoiles, des étiqueteurs de choses… on nomme tout.
Mais ça s’appelle comment un parent qui perd son enfant ? Quand on a perdu son enfant, on se retrouve devant des questions qui n’ont pas de réponse ou pas de réponse linéaire. Pourquoi continue-t-on de penser que quand on meurt il n’y a plus rien ?
Quand on meurt, tous nos sens s’arrêtent, nous disent la science et la médecine. Mais pour le savoir il faudrait que je meure. Quand quelqu’un est décédé, peut être qu’il n’est pas si loin… Comme pour le cèdre, quelque chose de lui advient. De l’ordre de la perception, pas de la croyance. Quand je ferme les yeux est-ce que je peux le voir ?, sentir son odeur ?, entendre le timbre de sa voix ?
Quelque chose est intimement lié entre notre mémoire et la réalité. Quelque chose de l’autre existe encore à l’intérieur de nous. Ce n’est pas une réalité de poète. C’est la réalité. Les choses n’existent peut-être qu’à l’intérieur de nous.
Il faut trouver un moyen de moins souffrir mais souffrir quand même. C’est le fameux dilemme, comme celui de mourir ou pas, quand on souffre trop. Et si en vérité on ne mourait pas ? Et si la mort était autre chose que ce terrible néant auquel on croit être habitué ? La vision de la mort est culturelle. Après la mort, on pense qu’il n’y a RIEN ! Il faut qu’on s’entende sur le rien. No-Thing, « non chose ». Quand on dit qu’il n’y a rien, on dit qu’il y a quelque chose.
Dans mon métier, en accompagnant des personnes malades du cancer jusqu’à leur mort, elles m’ont appris des millions de choses. Avec vos enfants vous avez vécu en quelques secondes ce que j’ai mis des années a comprendre. C’est le plus beau des cadeaux. Et pourtant le mot cadeau a bien du mal à passer…
Après 22 ans en soins palliatifs, si la vie n’a pas de sens, si elle s’arrête sans rien après, alors oui j’ai perdu ma vie. Et je suis convaincu de ne pas l’avoir perdue. C’est le message et la leçon de vie de ces années. Car la mort est un acte pas un état. »
- Éric Dudoit est docteur en psychologie clinique et psychopathologie, responsable de l’unité de psycho-oncologie du CHU La Timone à Marseille depuis 2002, il a créé en 2005 l’Unite de soins et de recherche sur l’esprit au sein du centre hospitalier. Auteur de plusieurs publications sur la spiritualité dans les soins (Au coeur du cancer, le spirituel, Ces EMI qui nous soignent) et en 2017, de La Porte à franchir (éditions Le Passe-Monde).
Bonjour, je me demandais si le livre sur l’accompagnement des personnes en fin de vie de Eric Dutoit se vend en français »Apprendre à mourir ». Merci.