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Ma fille ainée, Éléa, est née en 1996. Elle était une jeune fille curieuse et  débordante d’envies, une jeune fille intéressée par tout ce qui l’entourait, C’est pour cela qu’elle a décidé de passer un bac ES car, disait-elle: « j’ai envie de comprendre comment fonctionne la société dans laquelle je vais vivre ». Elle était équilibrée avec des idées claires et savait, comme elle le disait si bien, « relativiser » chaque évènement négatif de sa vie ou les problèmes qui pouvaient arriver avec ses amis ou sa famille. Éléa, c’était l’amie qui apaise les tensions, explique, répare le relationnel entre tous. Elle était douce et aimée par tous ses amis de par l’attention et les compliments qu’elle apportait à chacun.

Une vie étudiante somme toute ordinaire.

En 2016, après une année à la faculté d’Aix-en-Provence, Éléa  désire entrer dans une école privée de Marseille, pour se former à la communication. Elle est enthousiaste et se réjouit d’entrer dans cette nouvelle école qui lui permettra ensuite de se spécialiser dans l’évènementiel. Elle a 20 ans, l’avenir est rose pour elle à ce moment-là. Elle s’imagine déjà dans son petit studio, pense à sa déco, ses verres, ses assiettes, son petit mobilier…. tout ce qui peut lui permettre de se créer un cocon douillet et un petit univers à son image.

Financièrement, la seule solution est alors de souscrire un prêt étudiant auprès de sa banque, la Société Générale, prêt pour lequel elle signe le 21 octobre 2016. La banque possède une branche SOGEFINANCEMENT qui débloque les fonds et elle souscrit également une assurance auprès de SOGECAP qui dépend de la Société Générale. Une vie étudiante somme toute ordinaire.

Peu après la rentrée, Éléa a besoin d’un certificat médical pour sa pratique sportive. Le  28 octobre 2016, elle va chez son médecin généraliste pour lui demander ce certificat médical, Le médecin remplaçant lui fait la visite et demande un bilan sanguin qu’elle fait dans les jours qui suivent. Le 9 novembre 2016,  nous retournons chez ce médecin qui demande un nouveau bilan sanguin plus approfondi, car il décèle une anémie chez Eléa. À la lecture de ce deuxième bilan, le médecin l’envoie  à l’hôpital d’Avignon faire un bilan complet craignant une anémie inflammatoire.

Le diagnostic tombe : la masse est en réalité une tumeur myofibroblastique inflammatoire

Éléa entre à l’hôpital le 15 novembre 2016 pour y faire ces examens. Le 18 novembre, le scanner révèle une masse médiastinale avec atteinte pulmonaire, mais nous ne savons pas encore à cette date quelle est l’origine de cette masse. L’hôpital effectue une biopsie le 23 novembre 2016. Le 26 décembre 2016,  le diagnostic tombe : la masse est en réalité une tumeur myofibroblastique inflammatoire sans expression d’ALK. Le scanner cérébral révèle également deux métastases de taille réduite dans le cerveau. Elle est prise en charge par le professeur Duffaut au CHU la Timone à Marseille le 3 janvier 2017. Je lui propose alors d’aller consulter d’autres spécialistes, mais ma fille décide de s’en tenir au professeur Duffaut, en qui elle a une totale confiance.

En février 2017,  elle subit un Gammaknife pour éliminer les deux métastases du cerveau qui ne reviendront pas. Pendant 6 mois ma fille prend un traitement, le Crizotinib, et pendant 6 mois la tumeur régresse régulièrement. Nous avons grand espoir et ma fille garde le moral malgré sa fatigue, de nombreux malaises et tous les effets indésirables du traitement. Le suivi de l’hôpital qu’on nous avait annoncé hebdomadaire est épisodique mais, nous avons l’habitude d’être discrètes, peu  insistantes, et de nous débrouiller par nous-mêmes. Quand nous rencontrons quelques nouveautés dans les réactions physiques d’Eléa, nous avons peu de réponses et ma fille se sent bien souvent abandonnée.

Le Crizotinib est comme une chimiothérapie par voie orale, relativement récent sur le marché, personne ne sait vraiment son impact et n’a de recul pour savoir jusqu’où il sera fiable. En juillet 2017, suite à de grosses douleurs à la tête, ma fille redemande une visite à la Timone, et, après examen, le professeur Duffaut nous annonce que le traitement n’agit plus sur la tumeur, on comprend que le Crizotinib a ses limites…

La cancérologue propose alors à ma fille deux solutions : soit le passage à une chimiothérapie traditionnelle, soit l’ablation de la partie tumorée de son poumon droit. C’est cette dernière qu’Eléa choisit. La cancérologue malgré mes  questions et mes demandes sur l’existence d’eventuels autres traitements,  laisse ma fille sous Crizotinib, nous assurant qu’il limitera les métastases dans la tumeur et qu’il n’y aura pas de danger de propagation.

Il s’écoule 4 mois entre la visite de juillet et l’opération.

Nous contactons le chirurgien à l’hôpital Nord de Marseille, mais l’été et les vacances ne nous permettent pas d’obtenir de rendez-vous avant septembre. Lors de la consultation, le chirurgien fixe l’opération au 31 octobre 2017. Il s’écoule donc 4 mois entre la visite de juillet et l’opération.

Entre temps ma fille reprend malgré tout  son école, l’IFC, à Marseille. Elle vit dans le studio qu’elle loue et travaille. Elle  réussi à gérer ses fatigues, ses malaises avec beaucoup de courage et de persevérance.  Elle est heureuse malgré tout et vit sa vie d’étudiante comme elle le souhaitait. Avoir gardé le cap sur ses études lui a permis de conserver une vision d’avenir, et non pas celle d’une malade sans espoir de guérison…

Le chirurgien sait que c’est un cancer généralisé, mais personne pour nous dire que c’est la fin…

Le 30 octobre, Eléa entre à l’hôpital pour son opération. Quand le chirurgien ouvre pour faire l’ablation, il découvre que les métastases ont envahi le poumon mais aussi le diaphragme, la plèvre, le péricarde. Quand il revient du bloc tard le soir, il nous annonce qu’il a nettoyé, vidé l’eau qui gonflait son poumon et refermé sans pouvoir faire plus. Il sait à cet instant que c’est un cancer généralisé, mais personne pour nous dire que c’est la fin…

Très affaiblie par l’opération, l’anesthésie, les douleurs, Éléa rentre à la maison. Mais dix jours plus tard, ses douleurs insupportables, me conduisent à la ramèner en urgence  à l’hôpital d’Avignon dans le service d’onco-hématologie où elle s’éteint le 2 décembre 2017. Je n’ai en fait aucun mot pour exprimer la détresse vécue. Ma fille c’était la vie… ma vie, celle qui a fait de moi pour la première fois une maman, ma première racine ! ma fille c’était la complicité, les rires, les espoirs, les situations difficiles affrontées ensemble et les nombreuses  discussions que nous ayons ou non été d’accord.

Ce soir-là, dans la chambre d’hôpital,  je ne sais pas où je suis, qui je suis, quel est ce corps sans vie qui ressemble à ma fille … je ne sais plus rien ! Nous rentrons vers 3h du matin, vides, abattus, mon corps tremble fortement et je n’arrive pas à le calmer. Chaque fois que le sommeil me gagne je rêve du néant. Je suis dans le néant et j’ai tellement  peur !  Je ne peux me raccrocher à rien, je tombe, tombe ….  Alors je me réveille en sursaut dans un vide émotionnel immense.

Je n’ai eui aucun appel, aucun message de la cancérologue qui suivait Éléa. La chef du service d’onco-hématologie de l’hôpital Henri Duffaut à Avignon se montre surprise et navrée que nous soyons sans nouvelles du service de la Timone.

Alors commence à tourner dans ma tête tout ce que nous avons  vécu… l’injustice qu’elle ressentait d’être malade à l’âge où ses amis font la fête, pensent à leurs études, à leurs prochaines vacances… ; toutes ces questions qui la hantaient du « pourquoi moi ? ». Ma propre culpabilité de n’avoir pas fait plus, de ne pas avoir été plus réactive, plus insistante…

Eléa est restée fière et digne jusqu’au bout. Elle détestait l’apitoiement. Quand a elle senti sa fin proche, elle a coupé les ponts avec tous ses amis. Et elle ne nous a pas dit non plus quand le docteur Chebrek de l’hôpital d’Avignon lui a annoncé sa fin de vie, ce qu’elle nous confiera après sa mort.

Ne pas être aidée, n’est rien à côté du fait d’être harcelée au pire moment de sa vie…

Tous ces mois, sans travailler, en déplacements incessants pour aider et accompagner au mieux ma fille ont vite eu raison de mes ressources financières.  Le manque de temps pour mes deux autres enfants, pour leur préparer les repas qui se transforment en pizzas, kebabs ou autre quand je rentre tard. Les soucis de cette maladie qui emporte ma fille et bouleverse notre vie. Sans l’aide d’aucune institution ou administration. Sans l’énergie pour, ne serait-ce que, chercher cette aide… Mais ne pas être aidée, n’est rien à côté du fait d’être harcelée au pire moment de sa vie…

Déjà dans les premiers mois de la maladie, j’ai découvert l’absurdité de certaines règles. J’étais allée à la CAF de Cavaillon dont nous dépendions, demander s’il existait une aide pour pouvoir suivre mon enfant malade. La CAF m’avait répondue que ma fille était majeure, que je n’avais donc droit à rien…

Jusqu’à la veille des 18 ans, il est possible et considéré normal qu’on soit accompagné, aidé, qu’on ait peur de la maladie, de la douleur et éventuellement de la mort. Mais dès le lendemain des 18 ans, les besoins et les peurs deviennent caduques et ne sont plus éligibles à une aide. Une maman ne doit-elle plus suivre sa fille malade après ses 18 ans ? Je suis ressortie en me répétant cette aberration ! On accompagne bien les personnes âgées dans leur maladie, les personnes de tous âges ont peur et ont besoin d’être accompagnées mais ma fille de 20 ans devrait se débrouiller seule et affronter l’hôpital sans l’aide morale et la présence  de sa mère? Ce n’était que le début de mon indignation.

J’ai continué à accompagner ma fille et mon budget a continué à s’effondrer. Malgré tout, Je me suis débrouillée comme j’ai pu, en empruntant de l’argent à un ami, argent qu’à ce jour, je n’ai toujours pas pu lui rembourser.

Mais j’ignorais alors qu’après la mort de ma fille, un autre chemin de croix m’attendait. Le harcelement moral et financier de la banque et de l’assurance de ma fille, dans l’indifférence la plus totale pour le traumatisme que nous vivions. Des mois de pressions et de menaces juridiques, administratives et financières, quand la seule souffrance physique et morale de l’absence de ma fille m’était déjà insupportable.

Une Banque et son assurance sans pitié et sans scrupule.

Le lendemain des obsèques, comme l’oblige la loi, le père de mes enfants apporte l’acte de décès de ma fille à sa banque, la société générale. Le directeur conseille alors un notaire pour débloquer la somme restant sur le compte d’Eléa.

Quelques temps plus tard, je reçois un document de la SOGEFINANCEMENT qui doit être rempli par les médecins traitants. Je vais donc chez notre médecin. N’étant pas devant son ordinateur, celui-ci rempli le document avec des dates approximatives de ses disgnostics, il note le mois et l’année seulement, sans mentionner de jour. A  ce moment-là je ne sais pas du tout quel est ce document, ni son utilité, je n’ai jamais été confrontée à une telle situation. SOGEFINANCEMENT  m’appelle une première fois et me dit que ma fille a souscrit son prêt en toute connaissance de sa maladie, ce qui est une arnaque et que je dois payer la totalité du prêt, plus les intérêts, plus des pénalités parce que ma fille s’est mal conduite ; Autrement dit, elle savait qu’elle allait mourir selon eux et elle aurait du leur dire…  Ce harcèlement va durer plusieurs mois et me mine car je dois me justifier parler tous les jours, revenir sur les pires souvenirs du diagnostic, retourner à l’hôpital où ma fille s’est éteinte pour demander des documents et des attestations…

 

L’assurance ne veut pas jouer son rôle d’assureur malgré les cotisations payées chaque mois au motif qu’elle a « arnaqué la SG ». Ce qui voudrait dire selon eux, que ma fille de 20 ans apprenant  sa maladie, cupide et tordue, n’aurait pensé qu’à une chose: en profiter pour souscrire un prêt de 18000€ en imaginant (pariant même) que la maladie et la mort pouvant l’emporter, elle n’aurait ainsi pas à rembourser l’argent ? Mais comment peut-on imaginer une chose aussi aberrante et inhumaine??

Messieurs les banquiers, si vous saviez le plomb qui nous tenait à la chaise quand la chef de service d’Avignon nous a annoncé la nouvelle. Si vous saviez à quel point on est paralysé quand on entend « Eléa a une tumeur au poumon, une tumeur maligne, je vous envoie directement au service oncologie de la Timone ».   Nous nous sommes regardés tous les 3, Eléa, son père et moi, sans un mot, nous sommes sortis de l’hôpital muets. Une image d’Eléa à 3 ans me revenait sans cesse en tête, petite, boucles blondes, son regard couleur miel assise sur le petit mur de ma terrasse. Nous avons marché jusqu’au parking ainsi, absents de nos corps, de nos vies. Alors comment peut on imaginer qu’à ce moment-là précis et les jours qui suivirent, nous ayons pu imaginer un stratagème pour « arnaquer » une banque ?

La Société générale a eu en sa possession les coordonnées du médecin traitant, du chef de service où Eléa a eu sa première hospitalisation, et même celles du service où elle s’est éteinte. Pourquoi n’ont-ils pas appeleé directement les professionnels pour vérifier ? Avaient-ils vraiment envie de vérifier ou étaient-ils juste intéressés par l’exploitation de tout élément qui leur permettrait de se rembourser, sans aucun scrupule, ni considération de la situation? Je leur présente un énième document de l’hôpital mais leur machine est lancée, ils ne s’arrêteront plus et quelques temps plus tard, c’est une assignation à comparaitre que je reçois des mains d’un huissier.

« Je fais mon travail Madame, je n’ai pas d’état d’âme à avoir. Vous êtes un dossier à traiter, je m’arrête à cette tâche. « 

Le harcèlement de la banque me fait sombrer dans une dépression; je suis dans l’obsession de cette banque qui m’appellent sous différents numéros et me répète que ma fille les a « arnaqués », qu’elle a été « assez calculatrice pour escroquer la SG ».  Quand je demande à mon interlocuteur s’il se rend compte que ma fille est morte et qu’il parle à une maman qui a perdu son enfant, il me répond  : « Je fais mon travail Madame, je n’ai pas d’état d’âme à avoir. Vous êtes un dossier à traiter, je m’arrête à cette tâche ». Fin de la conversation…

Je résiste mais peu à peu je sombre. Je refuse les antidépresseurs du médecin dans un premier temps. Et je m’enfonce …. Quand je reçois l’assignation à comparaitre, j’ai dix jours pour me préparer. Il me faut un avocat en urgence et un bon avocat ,me conseille-t-on, car face à une banque il faut être bien armé. On me conseille Maître Collard à Marseille. J’obtiens un rdv rapide avec lui, je lui remets tous les documents en ma possession et lui signe un chèque de 3600€….. Une somme que je n’ai pas sur mon compte, car je n’ai plus aucune économie … rien ! En rentrant chez moi le soir, j’envoie des messages pour trouver un prêt privé auprès de mes proches, mais ils restent sans réponse ou déclinés…. Les frais bancaires qu’ont engendré ces démarches sont trop lourds pour moi ….Et je coule de plus belle ! Un loyer passe à l’as, puis deux,  jusqu’à sept loyers impayés. Je reçois donc un courrier me demandant de quitter notre maison… Je dois partir au plus vite, mais sans savoir où aller. Je reçois d’autres factures, dont une du funérarium qui me réclame 100€, une de l’hôpital, tous les frais bancaires de mon compte à découvert, les frais de commissions, les agios… l’enfer….

Des services municipaux désolés mais impuissants…

Dans cet enfer, s’ajoutent les pompes funèbres de ma propre commune. Au moment des obsèques d’Éléa, j’ai payé les pompes funèbres municipales de l’ïle sur Sorgues où nous résidions avec la cagnotte en ligne ouverte par mes amis pour m’aider à les finance. Il me reste 500€. Mais ma situation financière s’est tellement dégradée que je tarde à payer cette somme. En décembre 2018, à l’aube du 1er anniversaire de la mort de ma fille, je reçois un avis à tiers détenteur des pompes funèbres municipales :  la somme est bloquée et mon compte est bloqué alors que je suis au RSA. Des frais de commissions, des agios viennent alourdir mon compte déjà bas, mais on ne me fera pas de cadeaux ! Nous sommes à la veille des fêtes de noël que nous attendons déjà avec appréhension et je ne peux offrir de cadeaux à Élise et Élian, mes enfants… Je suis à nouveau dans une situation qui me met dans un désespoir terrible. Heureusement que mes enfants sont peu exigeants et matures face tout ça.

Je sollicite un rdv avec l’adjoint au social de ma commune, que je mets 8 mois à obtenir. Lors de notre entrevue, j’explique ma situation à l’adjoint qui, empathique et sincèrement désolé pour moi, me dit que la mairie ne peut rien pour moi. Mais ce monsieur me rassure en me disant qu’il va  réunir les assistantes sociales pour trouver une solution avec elles. C’était le 2 septembre 2019. Nous sommes le…. et je n’ai toujours pas eu de nouvelles.

Ma voisine est conseillère municipale à la mairie de ma commune, elle connait l’histoire mais, comme la plupart des gens, elle a entendu, a été touchée, et elle semble avoir oublié dès que je n’étais plus sous ses yeux. Comment se fait-il que personne ne se soit indigné, soit allé voir le maire pour lui expliquer la situation d’un de ses citoyens ? Je ne comprends pas cette indifférence.

« Je vis cette amende majorée comme une ultime injustice dans l’indifférence la plus totale. »

Et cerise sur le gâteau, je reçois il y a quelque temps une amende pour excès de vitesse majorée à 386€ avec prélèvement à la source, sans plus aucune réclamation possible, datée du lendemain de la mort d’Éléa. Je me souviens trop bien de ce jour…Eléa avait été transférée au funérarium de l’hôpital d’Avignon. Son frère et sa sœur, plus jeunes, avaient appris l’écrasante nouvelle, et nous nous rendions ensemble à l’hôpital pour voir Éléa. Ce jour là j’ai commis un excès de vitesse de 2 km/h au dessus de la limite autorisée. sans m’en rendre compte. Personne ne pouvait connaître les circonstances de cet excès, mais je vis cette amende majorée comme une ultime injustice dans l’indifférence la plus totale. La rage m’envahit si fort !!! Une rage pour toutes les fois où j’ai pensé réussir sortir la tête de l’eau et où j’ai reçu un nouveau coup sur la tête. Comme si je n’avais pas droit à un peu de répit après la violence de la mort de mon enfant.

Et comme une terrible loi des séries, où le malheur attire le malheur, un accident détruit la voiture prêtée par le père de mes enfants, la voiture de ma fille tombe en panne, depuis 8 mois, le chauffe-eau est en panne et nous nous douchons à l’eau froide mes enfants et moi, un rappel du trésor public pour des sommes dues par-ci par-là, jusqu’aux relances de la redevance télé, moi qui n’ai pas la télé depuis 20 ans…

J’ai travaillé en restauration en qualité de gérante  pendant quelques mois après le décès d’Eléa, mais j’étais physiquement, émotionnellement et moralement épuisée, j’ai dû m’arrêter. Je sais que la solution est de reprendre le travail, mais que c’est compliqué.

La période de maladie était déjà un combat de chaque instant pour rester dans l’espoir, confiante, digne et fière pour montrer à ma fille que oui je croyais à sa victoire face à la maladie. Les allers-retours entre les hôpitaux, les examens, le manque d’argent, le reste de la famille et le quotidien à assumer et la réalité qui devient une charge trop énorme. La fatigue morale et physique, la pression qui s’installent et écrasent.

 

Un combat de chaque jour pour redonner sens à une vie qui n’en n’a plus.

A part ceux qui ont vécu cela, qui sait à quel point ce drame pousse vers le vide? Qui sait la bagarre à mener pour rééquilibrer une famille détruite… Le décès d’un enfant ne s’arrête pas aux obsèques suivies juste du manque terrible dû à l’absence. C’est un combat de chaque jour pour redonner sens à une vie qui n’en n’a plus, combat pour lequel on est si peu aidés.

Ce combat-là me demandait déjà beaucoup plus d’énergie que je n’en n’avais. Mais le harcèlement de la SG a été une torture incessante qui m’a privée d’une période de rêpit indispensable. Période de deuil déjà difficile quand on a seulement cela à gérer mais qui devient impossible à chaque courrier de relance ou coup de téléphone qui semblait m’envoyer en plein visage: « Regarde !  Tu as perdu ta fille ! Tu ne t’en sortiras pas !  Après chaque problème en arrivera un autre … ». Alors l’espoir de retrouver un jour une vie plus apaisée s’éteint et la dépression s’installe. Alors j’ai fini par accepter les antidépresseurs de mon médecin pour m’aider à passer ce cap, car la vie s’était échappée de moi, plus rien ne me tenait, j’avais le plus souvent envie de disparaitre face à tous ces problèmes incessants qui hantaient mes jours et mes nuits, cette peur de tout perdre encore, jusqu’à ma dignité, mon toit, mes enfants… La nuit mes rêves n’étaient que peurs.

« C’est pour Eléa que je dois mener ce combat, pour que sa mémoire ne soit plus jamais salie. »

Aujourd’hui, je me relève enfin doucement, et je suis résolument décidée à aller jusqu’au bout de cette bataille pour ma fille Eléa, pour son frère et sa sœur, pour moi aussi et surtout  contre ce système qui semble nous enfoncer même (et peut-être surtout)  quand on est déjà noyé et au fond de l’abysse. J’ai longtemps refusé de le faire pour moi, tant j’étais résignée à recevoir coup sur coup. Mais aujourd’hui je réalise que c’est d’abord pour Eléa que je dois mener ce combat, pour que sa mémoire ne soit plus jamais salie par des personnes sans scrupule, n’écoutant que leur intérêt, au mépris de son courage et de sa dignité.

Aujourd’hui je refuse l’injustice et l’indifférence. Comme Eléa, je veux rester debout, fière et digne face aux difficultés de la vie. Rester debout, vivre et non survivre, sont des droits qui doivent être donnés à tous et je le revendiquerai pour ma famille et moi-même face à cette banque qui s’acharne impitoyablement, ce système qui écrase de sa toute puissance sans aucun respect.

Quant à moi j’ai le devoir plus que jamais de me défendre, de faire entendre mon histoire, de dénoncer un système et des institutions inhumaines qui n’assument jamais au grand jour leur inhumanité, sauf quand la médiatisation les y contraint. Mais plus que jamais j’ai le devoir de défendre la mémoire de ma fille, car c’est tout ce qu’il me reste d’elle et je ne laisserai plus personne la traiter d’arnaqueuse.

Laurence Soler, L’Île sur Sorgue, janvier 2020.

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