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Emily Soussan a eu une enfance hors-norme. Malade d’un cancer et suivie au CHU de la Timone à Marseille de 1 an à 14 ans, pour un carcinome du sac vitellin, elle raconte ces 13 années si « différentes » où la maladie et la mort ont fait partie de son quotidien sans pour autant priver la petite fille de son enfance.

« Je ne suis pas un Point rose et pourtant… »

 Je ne suis pas un Point rose et pourtant… Le Petit Chaperon rose raconté par Carla-Marie qii se sentait différente mais qui finalement vécut heureuse dans son monde bleu fait écho à mon histoire. Ce Petit Chaperon rose qui ne veut pas être réduit à sa singularité et veut vivre heureux malgré tout.

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Alors comme pour Carla-Marie, la vie a décidé de me défier, de me donner des raisons de me sentir différente. Mais comme Carla Marie, j’ai choisi de détourner mon regard des malheurs et d’y voir derrière comme elle les petits bonheurs cachés…

Si grandir avec un cancer nous rend différent de la majorité des enfants pourquoi cette différence ne serait-elle pas positive ? Pourquoi cette singularité ne serait pas productive ? En tout cas pour moi ça l’a été, et pour moi l’épreuve du cancer est sans doute la plus belle leçon que la vie m’ait offerte.

L’issue favorable y est sans doute pour quelque chose certes, mais la rémission et la guérison paradoxalement ne sont pas les meilleurs moments que j’ai vécus.

Grandir avec un cancer signifie avoir une vie rythmée par les rendez-vous médicaux, les soins parfois difficiles et douloureux et cela au-delà de la guérison.

Grandir avec un cancer signifie être accompagné quotidiennement par une équipe médicale et l’avoir comme entourage.

Grandir avec un cancer c’est aussi avoir de nouveaux horizons où l’hôpital est autant un lieu contraignant qu’un terrain de jeu amusant.

« Pendant des années, aux yeux de tous je n’étais que la petite malade, la perfusion de la chambre 4 ou l’échographie de 14h. »

Alors pour cette particularité et ce rythme de vie, on nous voudrait différent ? Le fait de vivre quelque chose d’hors norme ou de contre-nature pour notre âge nous rend particulier ? Oui bien sûr on l’est. Mais cette différence n’est pas hors de la norme, elle est dans l’extra-ordinaire et ma différence à moi était de voir le monde et la vie d’un autre œil, de me voir moi-même au-delà de la maladie quand tout le monde me réduisait à ma simple pathologie, à un cas médical… Pendant des années, aux yeux de tous je n’étais que la petite malade, la perfusion de la chambre 4 ou l’échographie de 14h. Ma santé était la préoccupation principale, on prenait des nouvelles de ma tumeur et suivait attentivement l’évolution de la maladie comme on pourrait suivre un match de foot où seul le résultat final compte.

Emily était donc réduite à cela ! Et paradoxalement, les médecins d’aussi loin que je me souvienne ne m’ont jamais expliqué l’avancée des choses, le mot cancer ne se prononçait pas. Il parait que ce mot fait peur. Alors on l’évite à tous les niveaux. Le nom même du service spécialisé ne comporte pas ce mot. J’ai d’ailleurs passé de nombreuses heures à décortiquer ce mot inscrit à l’entrée du service : «oncologie pédiatrique». Cela ne signifiait rien pour moi l’oncologie ! A contrario, cette tumeur à qui on prêtait une attention particulière s’orthographiait dans ma tête d’enfant «tu meurs». Alors oui j’ai pris conscience très tôt que le but de cette maladie était de mourir, que c’était grave !

« Puisque ma vie se résumait a une « tu-meurs », j’ai décidé de vivre cette mort annoncée ! »

Il fallait donc se soigner sinon… tu meurs ! C’était comme ça. Et puisque ma vie se résumait a une « tu-meurs », j’ai décidé de vivre cette mort annoncée !

L’équipe médicale traite une pathologie, des symptômes, des effets secondaires mais pas une petite fille avec tout ce qu’elle est… et au fond de moi-même c’est moi qui voyait tout cet entourage comme différent ! Ces médecins qui ont peur de dire le mot « cancer » et de prendre en charge la globalité de la personne soignée alors qu’en termes de connaissances et de techniques médicales ils sont parmi les meilleurs. Et ces psychologues qui travaillent dans ce service et qui nous reçoivent juste parce que cela fait partie de la prise en charge, du protocole mais qui laissent passer les 45 minutes de séance dans le silence, insistant bien sur le fait que si l’on n’a pas envie de parler il ne faut pas se forcer, juste attendre que ces minutes défilent et que la séance soit terminée ! Et bien sûr que je voulais parler ! Mais vous ne vouliez surtout pas l’entendre ce que je voulais vous dire et mon silence que vous encouragiez vous rassurait et vous aidait à fuir la réalité.

« Ce n’est pas le cancer, les soins, les traitements qui ont été difficiles. C’était la prise en charge ou plutôt la non prise en charge de la petite fille. »

Ce n’est pas le cancer, les soins, les traitements qui ont été difficiles. C’était la prise en charge ou plutôt la non prise en charge de la petite fille car la maladie, elle, a été prise en charge et parfaitement bien d’ailleurs puisque je suis là 15 ans plus tard pour témoigner.

En psychologie on appelle cela la dépersonnalisation du patient, cette stratégie d’adaptation que met en place (inconsciemment) le personnel médical pour se protéger et se prémunir face à des situation stressantes, difficiles ou excédant potentiellement ses ressources afin de maintenir un état de bien être psychologique acceptable pour mener à bien son travail. Certes le métier est difficile et éprouvant émotionnellement, et les stratégies d’adaptations sont nécessaires. Mais quand celles-ci ont un impact délétère sur la personne soignée, c’est là que la prise en charge s’affaiblit au risque que le personnel soignant en devienne pathogène.

Cette dépersonnalisation perçue s’est ancrée en moi et une bataille s’est installée afin de me trouver moi-même et ne pas me considérer comme juste une maladie, une anormalité dans la société.

Mais comme la vie est malgré tout bien faite, à chaque problème il y a une solution, et ce n’est pas ce qui arrive ou la situation telle qu’elle est qui est importante mais la façon dont on réagit. Alors en tant que petite fille, puis jeune ado, je n’avais pas le pouvoir de changer les choses, ni toutes les armes pour communiquer. La seule chose que l’on peut faire c’est changer sa manière de voir les évènements (une autre stratégie d’adaptation…), adapter et faire évoluer ses émotions et ses pensées à ce que l’on ressent et non à ce que l’on entend !

« Je ne suis pas le dossier 28 clôturé et rangé dans l’étagère des réussites thérapeutiques »

Alors, non je n’ai pas été un cancer sur patte pendant les quinze premières années de ma vie. Je n’ai pas été une tumeur à qui l’on doit faire la guerre. Je n’ai pas été le protocole qui donne de bons résultats, ni le dossier 28 clôturé et rangé dans l’étagère des réussites thérapeutiques… Sinon, cela reviendrait à dire qu’une fois le cancer disparu je disparaitrais aussi ? Qu’une fois la tumeur éradiquée, je le serais aussi ? Mais non !

 

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Pendant toutes ces années, j’ai été une petite fille qui aimait venir à l’hôpital, qui acceptait ses contraintes, mais qui aimait aussi jouer au ballon, se battre avec son frère pour un programme télé ou jouer à la maitresse avec sa sœur, j’allais à l’école, au parc, et l’hôpital faisait partie intégrante de ma vie.

« Le cancer est mort, mais moi je suis toujours vivante »

La tumeur est partie mais la cicatrice est toujours là, le cancer est mort, mais moi je suis toujours vivante. Donc, ce n’est pas parce que c’est une épreuve passée qu’il faut la voir comme un point négatif et l’éradiquer psychologiquement comme on l’a fait médicalement. C’est la société qui veut que ce soit quelque chose d’hors normes, mais pour moi ce n’est pas hors normes puisque c’est ma vie !

Je ne me suis jamais sentie hors de la norme contrairement à ce que l’on voulait me faire croire. Aller à l’hôpital était banal pour moi, avoir des soins et des rendez-vous était mon quotidien comme les cours de danse le mercredi pour mes copines. Les représentations des adultes et de l’entourage médical n’étaient pas les miennes.

La norme considère anormal pour une petite fille d’avoir un cancer, impensable et même injuste … Pour moi cela a été ma chance. Et ce ne peut être la norme qui dit ce qu’est la vie ! Ma chance c’était d’être une petite fille dans une famille avec des parents qui eux voyait avant tout la petite fille avec ses qualités et ses défauts, ses récompenses et ses punitions ! Parce qu’un enfant malade est un enfant avant tout ! J’ai grandi avec un cancer comme compagnon, mais j’ai grandi aussi comme un enfant dans une fratrie où la maladie n’empêche pas les querelles, avec des parents qui mettaient un point d’honneur à m’élever avec le même niveau d’exigence et de tolérance que mes autres frères et sœurs. J’ai grandi comme une enfant qui allait à l’école et qui devait respecter les règles comme tout le monde et même faire ses devoirs !! Je me souviens de la joie difficile à cacher de ma mère, lorsque j’ai ramené à la maison ma première punition. Sa joie de me voir considérer à l’école comme une élève comme les autres, sans traitement de faveur.

« La maladie et la mort font partie de la vie de nombreux enfants, comme ils ont fait partie de la mienne. »

La maladie et la mort font partie de la vie de nombreux enfants, comme ils ont fait partie de la mienne. Même si cela fait peur ou si on préfère ne pas se le représenter quand on n’y pas confronté directement ou indirectement, admettons le et arrêtons de faire comme si cela était étranger aux enfants. C’est la condition préalable pour les aider à les « vivre ». Les enfants ont des ressources infinis en restant des enfants et en ne réduisant pas toute leur vie à la maladie. Ils savent inventer la vie et l’enfance dans cet univers apparamment contre-nature. L’enfance m’a ainsi offert un cadre protecteur contre les stigmates de la maladie, elle m’a protégé des représentations des adultes, mon imagination et mon insouciance ont été de véritables moyens d’évasion, de compréhension de la réalité, ma naïveté m’a empêchée souvent de céder à la panique et à la terreur de la maladie et de l’environnement.

Le cancer a donc été ma chance, mon professeur de la vie !

La douleur m’a appris à apprécier le bien être,

La souffrance m’a appris à apprécier le bonheur,

Les contraintes m’ont appris à apprécier la liberté,

Le silence m’a appris à communiquer,

Les heures d’attentes interminables m’ont appris à apprécier chaque minute,

La mort m’a appris à vivre…

Merci au destin d’avoir frappé à ma porte si tôt.

Merci à la vie pour ses leçons, et de m’avoir offert deux beaux enfants pour les mettre en pratique et profiter de chaque instant aussi intensément que naïvement.

 

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Emily et ses enfants Adham et Allya

 

Merci à ma famille de m’avoir accompagnée si simplement et de m’avoir considérée juste comme Emily.

Merci à la jolie Carla-Marie d’initier tant de bonheur et de transformer les épreuves des enfants et des parents qui n’ont pas eu notre chance en merveilleux malheurs en faisant briller des Points roses au milieu de le monde bleu de la vie. Et merci à Nathalie de porter son message, de partager ces témoignages et de concrétiser le concept de résilience.

« Ceux que j’ai connus et avec qui j’ai partagé ces années à l’hôpital ne sont pas juste des échecs de la médecine. »

Je devrais peut être m’excuser auprès de mes compagnons d’hôpital qui eux ne sont plus là, ceux pour qui le destin a frappé si durement, m’excuser aussi auprès des parents qui n’ont plus leur enfant et qui pourtant l’ont accompagné comme mes parents l’ont fait… J’ai moi-même vécu la perte de nombreux amis durant mes 13 années de combat contre le cancer. Je culpabilisais souvent d’être encore en vie moi-même quand je croisais leur famille. Ceux que j’ai connus et avec qui j’ai partagé ces années à l’hôpital ne sont pas juste des échecs de la médecine. Je suis reconnaissante à l’hôpital et à la maladie de m’avoir permis de les connaître et de vivre tant de belles choses avec eux. Ils ont compté pour moi et continuent à compter et à inspirer des sentiments forts et bien vivants. Ces amis ont été mes amis, je les ai aimés et je les aime toujours. Ils sont à jamais associés à mon enfance. Aux dates anniversaires importantes ou sans évènement précis, retourner à l’hôpital dans ces lieux où nous avons partagé tant de moments ensemble est pour moi vital. C’est ma manière de garder le lien, et de refuser de réduire ces liens et moments à la maladie et la mort.

« Le cancer a été ma plus belle leçon comme Roberto a été ma plus belle rencontre. »

RobertoLe cancer a été ma plus belle leçon comme Roberto a été ma plus belle rencontre. Un rencontre grace à la maladie , une amitié comme deux ados ayant les mêmes centre d’intérêt, une amitié qui aurait pu être banale, ordinaire mais que le destin et la vie a transformé en  merveilleuse histoire. Ensemble nous avons vécu tant de moments ordinaires comme de simples ados mais les plus intenses et les plus beaux ont été ces derniers jours. Quand il est entré à l’hôpital se sachant condamné et la fin si proche personne ne voulait que je sois là, on était si proches, son état était si grave et la mort si présente, cela aurait été trop dur pour moi de vivre ca…Encore une fois les représentations d’adultes, la norme…..Mon Ami va mourir et je ne serai pas la avec lui, on ne pourra pas rire ensemble et passer des bons moments….. la maladie, la souffrance et la dégradation physique va nous empêcher de vivre ce que l’on a a vivre ……. Impossible! Il faut que l’on soit ensemble qu’importe la situation, et puis il n’est pas encore mort! Alors vivons ….Finalement nous avons passés ces derniers jours ensembles plus proches que jamais et ces instants ont une répercussion sur ma vie même 15 ans plus tard. Ces jours ont été rythmés par la douleur de le voir se dégrader un peu plus chaque heure, sentir ses métastases sous sa peau plus nombreux chaque jour, compter chaque minutes d’endormissement en guettant le moindre signe de réveil. Mais il n’y avait pas que ça…. on a dansé, on a rigolé, mangé autant de gateaux et de bonbons comme si c’était la fête tous les  jours, c’était merveilleux et bien plus beau que cette souffrance. On a même eu le temps de planifier son évasion de l’hôpital, et faire la playlist de musiques pour la fête que l’on voulait organiser. Finalement ce n’est pas moi qui l’ai aidé a s’échapper, c’est la mort, et la fête que l’on devait organisé était ses funérailles…. ces moments que l’on a partagé tous les deux a rire de notre plan d’évasion ont juste été des occasions à me préparer a son départ. 

Au moment du décés de Roberto

Les mots d’Emily à 16 ans au moment du décès de son meilleur ami Roberto, emporté par le cancer à 17 ans

 

« Sa mort m’a fait aimer la vie et comprendre qu’il était urgent de vivre. »

La souffrance a été intense, les sentiments d’injustice et de colère ont bien sur été forts et la tristesse me paraissait insurmontable. Et puis la vie a continué…. les mois ont passés, mêmes les années. Son souvenir est toujours présent, je le sens autour de moi chaque jour depuis 15 ans. Je ne me pose pas la question sur ce qu’il serait devenu, quel métier il aurait choisit, j’ai accepté l’idée que son passage sur terre est terminé mais je n’accepterai jamais que notre lien s’achève. Il n’est plus là physiquement mais il est là tout autrement. Alors il a sa place dans ma vie, après tout c’est quelqu’un extraordinaire donc sa place ne peut pas être banale… sa mort m’a fait aimer la vie et comprendre qu’il était urgent de vivre.

1 an après le décès de Roberto

Les mots d’Emily à Roberto, un an après son décès

 

La mort a mis un point final à ta vie, un point que l’on craint en plein milieu de la vie, comme je te l’ai écrit Roberto, à 16 ans, dévastée, révoltée, par la mort qui t’emportait à 17 ans. Mais j’ai compris un an après que je ne t’avais pas perdu. Que jamais je ne te perdrais puisque tu habitais mon coeur. J’ai compris que ce Point de la fin que je redoutais n’était pas celui de la fin. Il était rose avant même que je le sache…

« La vie peut avoir une limite, mais la valeur de l’instant n’en a pas. »

Car la finalité de la maladie ne se juge pas à la réussite ou à l’échec. Je suis là, je vis et je m’excuse si mon récit ne reflète pas la même vison de cette épreuve. Néanmoins j’ose croire que peu importe la finalité, la leçon est la même : l’espoir sera toujours plus fort que la maladie, comme l’amour est plus fort que la mort. Le bonheur est là à chaque instant de la vie, la souffrance, le malheur ne sont que des obstacles sur son chemin, et l’amour est la clé pour les enjamber. Mettre un pied dans le monde parallèle qu’est l’hôpital nous transporte dans un monde plus simple, où l’essentiel se trouve dans les petits détails, où la vie peut avoir une limite, mais la valeur de l’instant n’en a pas.

 

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Allya et Adham qui se disputent le bracelet du Point rose 🙂

 

 

 

 

 

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